Quels financements pour les small caps ?

28 novembre 2023

Les PME cotées en bourse viennent de subir un revers historique : en deux ans, l’indice des small caps a chuté de 27% alors que le CAC 40 se maintenait au même niveau durant cette période. Paradoxalement, si cette chute est bien achevée comme le prédisent nombre d’analystes financiers, le rebond des small caps pourrait être tout aussi spectaculaire en 2024. Et leurs partenaires financiers auront-un rôle clé dans ce retournement de situation.

 

Les small caps, ces entreprises cotées ayant une capitalisation boursière inférieure à 150 millions d’euros, ont subi ces dernières années le « désamour des investisseurs », pour reprendre les termes de Mathilde Guillemot-Costes et Julien Goujon, gérants et analystes financiers chez Dorval Asset Management. Cela s’explique en partie par l’aversion au risque des investisseurs traditionnels, « dans un contexte macro-économique et géopolitique marqué par l’effet cumulatif de la hausse des taux d’intérêt, de l’inflation, et les conséquences anticipées de l’enlisement du conflit russo-ukrainien sur les performances ou la solvabilité des entreprises ». Les small caps ont souffert de ce désamour sur les places boursières.

 

Cependant, même si le contexte reste fébrile, « il y a un fort potentiel de rattrapage », assure Pascale Seivy, analyste chez Oddo BHF : « Les prévisions de croissance de ces petites et moyennes entreprises cotées atteignent +16% en 2024, contre +7% pour les grandes capitalisations ». D’autant que ces small caps ont une capacité à croître davantage en période d’incertitude, car « elles opèrent souvent sur des marchés de niche où leurs positions sont fortes, elles sont plus agiles pour traverser les cycles », estiment Nelly Davies et Alexandre Voisin, gérants du fonds Tocqueville Small Cap Euro ISR.

 

Un facteur favorable supplémentaire pour un retour en grâce des small caps, « à l’heure où le marché s’intéresse à nouveau aux fondamentaux des sociétés et non plus à ce qu’il faut acheter quand les taux montent ou qu’il y a de l’inflation », note Stéphanie Bobtcheff, CFA, gérante de La Financière de l’Echiquier. Car ces orientations coïncident avec le profil à grands traits de ces valeurs : des sociétés souvent gérées et contrôlées par leurs fondateurs, avec une vision stratégique à long terme. Des caractéristiques plutôt rassurantes pour les investisseurs, puisqu’elles supposent une plus grande implication des dirigeants, et un business plan cohérent.

 

Celui-ci n’est toutefois pas exempt de risques, puisque ce sont aussi des entreprises soumises à des nécessités d’investissement en R&D dont les bénéfices ne se mesurent que sur le long terme, avec les aléas des potentiels échecs technologiques, ou de faibles débouchés commerciaux, quand ce n’est pas un « retournement » stratégique et/ou financier qui est nécessaire. C’est par exemple le cas des biotech et medtech, dont il faut financer les différentes phases de tests expérimentaux, mais aussi les cleantech, ou encore le secteur des énergies renouvelables. Alexandre Borgoltz, dirigeant de la société DBT, pionnière dans les bornes de recharge pour véhicules électriques, souligne l’importance de cette vision de long terme. Fort de solutions financières lui ayant permis de consolider ses perspectives, il positionne sa small cap innovante dans une logique de pérennité : « Nous étions là il y a trente ans, et nous serons encore là dans trente ans pour vous accompagner ».

 

Encore faut-il que les investisseurs s’inscrivent eux aussi dans le temps long, ce qui n’est pas du goût de tous, a fortiori quand les entrées en bourse ont été facilitées par des brokers quelque peu optimistes quant au retour sur investissement… Quand celui-ci n’est pas là, et qu’il fait même place à de nouvelles levées de capitaux pour compenser un aléa ou financer une nouvelle étape, les investisseurs ne sont pas toujours enclins à suivre le mouvement. Et c’est là que commencent les problèmes illustrant ce paradoxe : les petites capitalisations souffrent d’un manque de financement malgré un fort potentiel de croissance.

 

Des valeurs qui s’apprécient sur le long terme

 

« Trop souvent, ce manque de financement est concomitant avec une étape clé du développement de ces entreprises, et l’incertitude peut les tuer. Les investisseurs institutionnels se désintéressent de ces valeurs peu suivies par les analystes, les banques ne savent pas réagir vite et ne comprennent pas forcément le sous-jacent », résume Pierre Vannineuse, fondateur d’Alpha Blue Ocean, un family office spécialisé dans le financement de ces entreprises que les banques délaissent : « Nous savons pour notre part prendre des risques – mesurés – et décider rapidement. Nous jaugeons le management, son business plan, sa capacité à le conduire. La confiance est clé. Le fait d’être un family office nous permet de nous adapter aux besoins des entreprises tout en nous inscrivant dans la durée ».

 

Les moyens utilisés ici sont ceux de la finance dite alternative, notamment les OCABSA (obligations convertibles en actions avec bons de souscription d’actions), particulièrement adaptées aux entreprises ultra-innovantes et en quête de cash-flow, comme c’est souvent le cas des small caps.

 

C’est justement pour faire face à ces nécessités que la biotech Sensorion, spécialisée dans les troubles de l’oreille interne, a également émis des obligations convertibles en 2017, subissant par contrecoup une baisse de 50% de ses actions boursières. Ce montage financier a cependant permis à la société d’avancer dans ses recherches de thérapie génique contre les surdités de naissance, dont les premiers tests seront réalisés l’an prochain. Une évolution qui permet aujourd’hui à la biotech française de lever 35 millions d’euros et de faire entrer à son capital le fonds américain de biotechnologies Redmile, pour mieux garantir son internationalisation. Preuve que les OCABSA et autres options alternatives de financement ne sont souvent que des solutions transitoires pour aider les small caps à franchir une étape, avant de se rapprocher à nouveau de partenaires financiers plus traditionnels lorsque les conditions le permettent.

 

Ces outils financiers sont d’autant plus adaptés à ces situations que la valeur de ces sociétés s’apprécie sur le temps long, comme le prouvent les données exploitées par l’analyste financier Marcel Müller : sur une période de près de 100 ans, les large caps ont surperformé pendant 573 mois, contre 579 pour les small caps (avec une moyenne de 12,1% par an pour les smallcaps par rapport à l’année précédente, contre 10,8% pour les large caps). Marcel Müller en conclut donc qu’à long terme, les sociétés à petite capitalisation seront en mesure de rattraper leur retard grâce à leur tendance à croître davantage. « Il faut avoir conscience qu’une biotech risque de devoir diluer son actionnariat dans les douze mois qui suivent son introduction en bourse, mais il faut aussi considérer qu’une baisse des cours anticipe un rebond à plus long terme », conclut Frédéric Sutterlin, associé chez Alpha Blue Ocean. Une façon de signaler également que les small caps n’ont pas vocation à rester petites. À condition de trouver les partenaires financiers qui sachent les accompagner.

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